29 mai 2030

Adossé à l’encadrée de la fenêtre, j’observe le jardin des plantes depuis ma fenêtre. Il fait bon. L’air est chaud sans trop l’être. Il est 2h du matin, je ne suis pas au club. Je ne peux tout simplement pas y être. En bas, des gardes du corps. Devant ma porte, idem.
Je prends une bouffée de cigarette, la gardant longtemps dans ma gorge jusqu’à ce qu’elle me brûle.
Le nuage s’évapore dans la nuit noir comme tous mes espoirs de rejoindre mon temples de la luxure.
- Alors, ça fait quoi d’avoir la présidente pour mère ?
Eric, mon meilleur ami de toujours, se tient sur mon canapé, un verre de rouge à la main. Cette question, on me l’a déjà posé mille fois. Au journal, à la télé, sur Instagram, Twitter et même dans la rue. Et mille fois, j’ai souris. Mille fois j’ai répondu que j’étais fière, que c’était merveilleux.
Mais devant Eric, je peux être moi-même. Alors, après une seconde bouffée qui s’évapore aussi vite que ma liberté je lâche :
- Ça fait chier.

2 mai 2029

Assise sur le canapé en velours, une vodka citron à la main, j’observe la jeune femme qui se déhanche pour moi. Elle est belle, presque autant que moi. Ses mouvements sont fluides, assurés. Elle sait ce qu’elle fait, et c’est tant mieux, ici, je ne veux pas de la médiocrité.
- Tourne-toi.
Ma voix est suave mais autoritaire. La grande brune obéit et dévoile une jolie poitrine et un sourire des plus tentateurs. Si je n’étais pas du métier, je me serais sûrement laisser tenter.
- Délicieuse. Maintenant refait-moi ton step-around, il est un peu bancal.
La danseuse s’exécute, mais je la vois vaciller légèrement à la fin. C’est pourtant un pas basique. Je ferme les paupières et dépose mon verre sur la table basse avant de monter les marches du podium pour la rejoindre. Je me place dans son dos, mes hanches collés à ses fesses pour murmurer :
- Regarde-moi…
Je la sens trembler sous mes doigts et exécute sous ses yeux la figure à la perfection, enchaînant avec une pirouette et un back-hook pour finir au sol, créant une arche avec mon corps avant de me laisser glisser sur le lino glacé, mes mains caressant tout mon corps jusqu’à mes cuisses. Je sais qu’elle me regarde. Et je sais qu’elle sera parfaite. Car je l’ai envoûté, et comme toutes les autres, je sais qu’elle m’obéira et me sera loyale.
- Tu commences lundi.
Je la vois sourire, heureuse. Tant mieux. C’est sûrement ce que je préfère dans ce métier. Ça et le pouvoir.
Surtout le pouvoir.

8 février 2026

- Tu es sûre de vouloir acheter ce truc ? C’est un peu… glauque non ?
Je marche dans ce qui adviendra être bientôt mon sanctuaire, mon empire. Ma deuxième maison. Certains achètent des appartements pour assurer leur retraite. Moi, j’investie dans un business bien plus rentable. Dans les murs, et dans la luxure.
- C’est parfait… ne sens-tu pas l’histoire Eric ? Touche les matières.
- Non je touche pas à ça moi… quand tu auras tout fait refaire peut-être oui…
J’imagine sans mal les tissus nobles qui habilleront bientôt les banquettes. Les lumières tamisées. Les chandeliers en cristal. Les miroirs, les alcôves. Les serveurs et serveuses parfaitement apprêtés. Et surtout, les danseuses, mes filles en train d’effectuer des effeuillages indécent sur les barres froides en inox.
Je me tourne vers mon agent immobilier – engagé dans le plus grand secret – et lui tend une valise rempli de cash.
- Je prends. Les travaux débuteront demain.
- Parfait. Avez-vous trouvé le nom ?
Je m’installe sur une des banquettes défraichie, m’imprégnant des lieux. Ici, je serai loin des tracas de la maison. Des manigances de mes parents. Ici, je serai la seule à décider de l’avenir de chacun. Ici personne ne me manquera de respect, ne me manipulera. Et peu de gens sauront qui détient les lieux, je serai secrète. Secrète comme le plus rare des oiseaux :
- Le Secret Bird.

24 décembre 2023

Jamais je n’aurai cru un jour nourrir mes plantes de mes larmes, et certainement pas la veille de Noël. Je les avais déjà vu, entendu se déchirer à la maison. Mais depuis petite, maman m’a toujours promis qu’ils ne se quitteraient pas. Qu’ils resteraient ensemble. Pourquoi me font-ils ça ? Ils ne divorceraient même pas. Ils vivront chacun de leur côté et apparaîtront ensemble, devant les médias. Foutaise.
Elle m’avait promis. Elle m’avait promis que l’amour existait. Qu’Alex n’était qu’une mauvaise passe. « Regarde, ton père et moi nous sommes mariés et nous resterons toujours ensemble. L’amour est beau Héloïse. Ne le rejette pas à cause d’une mauvaise expérience. »
- FOUTAISE !
Mon cri résonne dans toute la serre et des oiseaux s’envolent. Je leur ai fait peur. Certains me prendraient pour une folle, mais je les rejoins, tendant la main pour qu’ils se posent sur mon bras. Lentement, je caresse le crâne de Divine, ma Calyptorhynchus banksii.
- Je suis désolée… Je n’aurai pas dû crier.
Tout comme mon père n’aurait pas dû me hurler que s’ils se séparaient, c’était à cause de moi. À cause de « tes conneries » comme il le disait si bien.
Je le déteste.
Je les déteste tous.

16 juin 2020

Jeanne doit défendre sa fille. Si son mari ne comptait rien faire, elle s’en chargerait. Elle lui avait donné rendez-vous place Stalingrad, dans le plus grand des secrets. Il avait l’habitude de s’y rendre, elle le savait, elle l’avait fait suivre.
Lorsqu’elle le vit s’asseoir en face d’elle, elle se demanda comment elle avait fait pour ne rien voir. Pour ne pas voir qu’il manipulait Héloïse depuis des années. Qu’elle l’avait laissé entrer chez eux. Qu’elle avait laissé sa fille entre les mains d’un pervers comme lui.
Discrètement, elle glissa dans la main du jeune homme – armé elle le devina rapidement – un chèque de 3 million d’euro, un passeport et un billet d’avion pour le Brésil.
- Tu vas partir. Et laisser ma famille et surtout ma fille tranquille. Sinon, soit sûr que je te traquerai. Et que je te tuerai.
Le rire froid d’Alex lui glaça le sang. Il prit l’argent le passeport et le tiquet, se leva et finit par se tourner vers Jeanne :
- Elle ne le sait pas hein ? Que vous faites semblant de prendre soin d’elle ? Vous ne faites que cela pour votre image Jeanne. Vous n’êtes qu’une égoïste.
- Va-t’en. Et ne revient jamais.
Alors que son sourire s’effaçait dans la nuit et que ça silhouette disparaissait, Jeanne lu une dernière-fois le tatouage sur l’avant-bras d’Alex : carpe noctem. Frissonnant, elle espérait avoir pris la bonne décision, et qu’il ne reviendrait jamais.

20 octobre 2019

Comment ai-je fait pour aimer celui qui tiens à présent un couteau sous ma gorge ? Mon corps tremble, les larmes coulent sur mes joues. Où est passé l’homme qui me murmurait toutes ses promesses à mon oreille ? Celui qui disait m’aimer ? Qui me promettait de partir loin avec moi ?
Sa main descend sur ma hanche alors qu’il presse un peu plus la lame contre ma peau.
- S’il te plaît arrête… Alex…
Il soulève les volants de ma jupe et je ferme les yeux. Il ne peut pas faire ça. Il ne peut pas violer sa petite amie. Mais le suis-je seulement encore ? Tout cela parce que pour une fois, elle n’avait pas pu lui ramener l’argent pour qu’il s’achète sa précieuse CN.
- Tu vas obéir… t’es à moi Hélo. Tes parents te manipulent. T’as besoin de moi. T’es rien sans moi. Donne-moi ce que je veux… sinon je trouverai un autre moyen de trouver l’argent… Tu crois que si tes parents reçoivent une rançon te concernant ils seraient ok de la payer ? Avec une vidéo de leur fille en pleure avec un peu de sang ? T’en pense quoi ?
- Arrête… Alex ça suffit… j’aime pas ce jeu… je t’aime arrête…
- Ce n’est pas un jeu. Plus maintenant mon amour.
Je ne sais toujours pas s’il s’agit de mon instinct de survie ou de moi-même, mais j’arrive à lui donner un coup entre ses jambes. Le couteau contre ma gorge tombe à terre et lui avec.
- SALOPE ! REVIENS ! HÉLOÏSE T’ES RIEN SANS MOI !
Je cours. Plus vite que jamais. Je cours vite. Si vite que ma jupe s’envole. Lorsque j’arrive chez moi, mon père et ma mère sont dans le salon. Ils ne me croiront pas. Comme la dernière fois. Comme accueil, j’ai le droit à la voix froide de mon père, me disant d’aller me changer. Et au regard déçue de ma mère.
Je monte, et regarde les photos d’Alex et moi. Comment avait-il pu me faire ça ? À moi ? Il disait m’aimer. Et si l’amour c’était cela, alors je n’en voulais plus.
Plus jamais.

1 janvier 2017

Il me tient contre sa poitrine. Minuit. 2017 débute. Un an que je suis avec lui maintenant. Un an qu’il me rend heureuse. Que la vie me semble plus douce à ses côtés. Je l’entends murmurer un « bonne année » à mon oreille. Je le sens embrasser ma nuque, mes clavicules. Il me bascule sur le lit. Il a de l’expérience, je le sais, après tout, il est plus vieux de 2 ans. Je lui avais promis de m’offrir à lui ce soir. Mes jambes tremblent, ma respiration s’accélère. Il retire ma robe, embrasse mon corps. Il est doux. Prévenant.
- Je t’aime Héloïse…
Cet instant me semble durer une éternité. Un moment coupé du monde extérieur.
- Je t’aime… je suis tienne.
Cette nuit-là, je m’en rappellerai toute ma vie. Alex et moi ne faisons qu’un. Nos souffles murmurent le même refrain. Et lorsque nous atteignions ensemble l’extase, je me dis que jamais je n’aimerai autant que lui.
- Tu es à moi Héloïse…
- À toi…
Et rien à faire si Eric n’approuve pas. Rien à faire si mes parents ne l’aiment pas. Moi c’est le cas. Et c’est tout ce qui compte.
Les mauvaises notes, les mensonges, les engueulades… tout cela en vaut la peine, c’est qu’Alex me disait. Tout cela en vaut la peine, car c’était pour construire notre amour.
- T’as l’argent ma puce ?
- Oui… tiens.
100€. Mon argent de poche. Mais il en a besoin, je le sais.

20 novembre 2016

- Il se sert de toi Héloïse. Il veut juste ton fric et ton cul.
- Pas du tout ! Il m’aime, je le sais.
- Foutaise ! Si tu ne veux pas m’écouter, bah t’es plus ma meilleure amie.
Eric claque la porte. Bon débarras.

3 mars 2016

- Madame votre fille est en échec scolaire. Elle doit se reprendre.
Jeanne tape du pied nerveusement. Elle se rend bien comtpe des notes de sa fille. De sa désinvolture. De ses mensonges à répétition. Mais elle n’est qu’une adolescente vivant son premier amour. Du moins, c’est ce qu’elle essaye de penser pour ne pas s’inquiéter.
- Non. C’est à vous de la reprendre. Je vous paye assez cher non ? Eduquez-la. Elle est intelligente. A vous de réussir à trouver un moyen pour qu’elle souhaite apprendre.

10 avril 2012

- Maman j’adore l’école ! Et je te présente mon nouveau meilleur ami, Eric !
Jeanne est soulagée. Héloïse avait enfin un ami.
- Tu n’auras qu’à l’inviter à la maison dimanche.
- Super ! On pourra te montrer notre collection d’escargot hein ?
- Non, je n’aurai le temps.
Elle vit la déception dans le regard de la petite blonde. Mais Jeanne est une femme occupée. Et Héloïse le sait.
- Madame Dorange, téléphone pour vous.
- Tu viendras avec moi au musée après maman hein ? Tu avais promis !
- Promis ma puce.
Évidemment, elle ne viendrait pas. Elle ne vient presque plus. Mais la nourrice est là pour ça. Et elle lui offrirait un énième livre sur les oiseaux. Cela serait amplement suffisant.