— T’es qu’un fils de pute. Tu connais même pas ton père, ta mère c’est une pute, c’est sûr.
Octave savait que ce gamin manquait de vocabulaire. Il n’arrivait pas à le diversifier, ni même à connaître le sens des mots qu’il utilisait. Il manquait également d’un cerveau, pour s’être attaqué au blondinet. Comme si, du haut de ses dix ans, il n’était pas capable de donner un coup de poing bien placé.
Le jeune Brisacq s’était fait un plaisir de lui montrer, justement, qu’il savait parfaitement cogner. Après tout, on ne pouvait parler ainsi de sa mère. Elle était secrétaire, sa mère. Pas prostituée. Et elle ne l’avait jamais été. Personne ne pouvait dire cela. Personne ne devait penser cela. Octave se ferait, sinon, le justicier de Gabrielle. Il frapperait autant de visage qu’il faudrait.
— BRISACQ ! Dans le bureau du directeur. Maintenant !
Qu’importe les conséquences que cela lui vaudrait.


***

Il avait quatorze ans quand, après une énième bagarre dans la cour de récréation, Octave s’était décidé à poser la question. Il n’avait jamais voulu embêter sa mère avec cela, il la savait très occupée et, surtout, préoccupée par le sujet qu’il allait aborder.
Assis à la table de la cuisine, une poche de glace sur le crâne, il planta son regard dans celui de Gabrielle et d’une voix parfaitement posée, il demanda :
— C’est qui, mon père ?
La réponse tarda. Non pas que le sujet était tabou mais plutôt que les réponses semblaient délicates. Pourtant, les faits étaient simples, non ? Octave n’avait besoin que d’un nom. Peut-être d’une petite description. Il se contenterait de peu, il voulait seulement connaître ses origines.
Il voulait savoir d’où lui venaient ses boucles blondes, son nez aquilin, son besoin constant de porter des verres de correction. Rien de tout cela n’était hérité de sa maman, qui semblait être son exact opposé physique. Heureusement que leurs caractères se ressemblaient autant car le garçon aurait fini par se poser des questions.
Quoique…
Non, il avait trop confiance en Gabrielle pour cela. Elle était sa mère, après tout.

***

Yeux fermés, allongé sur le divan, Octave se laissait peu à peu endormir par le son de sa voix. Elle était douée. On l’avait prévenu, Elle faisait des miracles. C’était justement pour cela qu’il était allé la voir.
Il devait comprendre.
Il devait écouter.
Mais qui écouter, parmi toutes les voix qui lui parlaient ? Elle allait lui dire. Elle allait le guider.
— Maintenant, vous allez respirer profondément et m’accompagner au fond de vos pensées. Qui les occupe ?
— Pierre.
— Pierre. Pouvez-vous me dire qui est ce Pierre ?
— Mon père.
— Très bien. Et que fait Pierre dans vospensées ?
Enfermé dans ma tête, je ne sais plus si je lui réponds ou si je reste tétanisé. L’environnement est flou. Tout semble si grand, de là où je me trouve. D’ailleurs, je ne sais même pas où je suis. On dirait un salon, ou peut-être une chambre. Il y a des coussins. Un plaid autour de moi ? Non, une gigoteuse, qui entrave mes mouvements.
Pourquoi suis-je dans une turbulette ? Je n’ai pas envie d’être enfermé. Je veux bouger. Je veux rejoindre maman. Sentir son odeur, sentir ses bras. Pourquoi ne me laissez-vous pas avancer ?
Je pleure. En vrai ou dans ma tête ? J’en sais rien. Je pleure.
Je pleure tellement que je n’arrive plus à respirer. Je pleure tellement que j’en suis assommé. Littéralement.
— Octave, que voyez-vous ?
Le jeune homme de dix-huit ans ne parle plus. Deux ans qu’ils sont rentrés à Paris, deux ans qu’une rage permanente l’habite. Il ne savait pas pourquoi. Maintenant, il comprend. Cette ville renferme trop de secrets. Ceux de sa mère, avec Le Clan. Ceux de son père, avec son passé.
Il l’a frappé. A-t-il vraiment pu être aussi affreux ? Oui. Oui, sa tête en porte toujours les stigmates. Pas physique, bien sûr, ce n’était que quelques baffes. Mais son esprit…
Octave sort de la transe aussi facilement qu’il y est entré. Elle ne va pas être contente, qu’il ne parle plus. Mais, parfois, il y a des choses qui ne doivent pas être dites.

***

Le commandant est désespéré. Il croit annoncer une mauvaise nouvelle à ce pauvre Octave. Il l’aime bien, c’est dommage. C’est également très surprenant, car ses aptitudes étaient élevées, nombreuses. Il n’arrive pas à comprendre comment il a pu rater les épreuves.
Certes, à la BRI-PP, ils sont exigeants mais Brisacq avait du potentiel. Il a toujours réussi tous les entraînements. Le stress peut-être ?
— Vous vouliez me voir, mon Commandant ?
— Oui, Brisacq. Asseyez-vous. J’ai une mauvaise nouvelle.
— Oh ?
— Vous n’êtes pas accepté pour la Brigade. J’en suis désolé.
— Oh.
—Vous pourrez peut-être repasser les tests l’année prochaine ?
— Oui, peut-être. Merci, mon Commandant.
Octave se lève. Il n’a montré aucune émotion. Le pauvre petit, il doit être sous le choc.

***

Tout sourire, Octave ouvre la porte du manoir. Il ne vient pas souvent ici, il ne veut ni déranger, ni donner trop d’informations sur eux. Les membres savent la vérité mais ils sont peu à le connaître. Pour le moment, c’est préférable. Ils le côtoieront lorsqu’il sera leur chef. En attendant, il n’est vu que comme un simple subordonné.
Mais, aujourd’hui, la nouvelle est grande. Il a été refusé à la BRI. Sa mère va être si fière. En plus de les avoir infiltrés, il a vu comment ils fonctionnaient. Ils ont un grand avantage maintenant. Le Clan sera dirigé par une équipe surentrainée.

***

Arme en main, il tire une dernière fois dans la tête de son ancien commandant. Si seulement il n’avait pas cherché à démanteler Le Clan… Il laisse maintenant deux orphelins et une veuve derrière lui.
— Nettoyez-moi ce bordel. Mais faites attention à celui-là. Il doit revenir entier à sa famille.
Il l’a tué, mais il ne lui manque pas de respect. C’est ça, d’avoir une morale. Il faut savoir jongler avec.
Octave se détourne. Il range son pistolet, récupère la plaquette de CN pour la fourrer dans sa poche, et laisse ses gars s’occuper du reste.
Il a d’autres chats à fouetter. Et notamment un déjeuner auquel assister.
Lorsqu’il arrive, Gabrielle est déjà attablée. Ils ne se trouveront pas à la même table, mais pourront tout de même parler. Du cartel, de Rex. Du nom Brisacq qui se trouve sur tous les gros titres.
C’est ce qu’elle recherchait. Salir le nom de celui qui les a si longtemps maltraités.
Elle sera heureuse. Comme elle l’est toujours lorsque son fils lui annonce de si bonnes nouvelles.